Selon Miguel Urioste, nous vivons une expansion rapide du modèle d'accumulation capitaliste agro-extractive en Bolivie.
Miguel Urioste - Chercheur de la Fondation TIERRA, Bolivie
Dimanche, 2 Août, 2015. La surface ensemencée de soya au Brésil l'année dernière était de 30 millions d'hectares (soit un record de 100 millions de tonnes métriques récoltées) et fait concurrence avec les États-Unis pour occuper la première place de producteur au monde. L'Argentine suit avec un peu plus de 20 millions, puis le Paraguay avec quatre millions, la Bolivie avec un million et finalement l'Uruguay avec plus d'un demi-million d'hectares. De loin, l'Amérique latine est le plus grand producteur de soja dans le monde et cette tendance continuera à croître rapidement, là où la terre est appropriée. L'État du Mato Grosso, contigu au département de Santa Cruz – avec presque la taille de toute la Bolivie- est le cœur de la culture du soja au Brésil puisqu'il représente près de 30% de la production de ce pays. Sa capitale, Cuiaba, est une petite ville d'un demi-million d'habitants parmi les plus de trois millions de cet État. Blairo Maggi, le roi du soja, est le principal meneur dans le secteur agricole brésilien; il a été gouverneur du Mato Grosso et est actuellement un très puissant sénateur. Selon Forbes, sa fortune atteint 1,15 milliards de dollars. Il y a quelques années, il fut amené à Cuba par le président sortant Lula da Silva pour aider les Cubains à améliorer leur agriculture. Maggi a récemment rapporté qu'il allait retirer son soutien au gouvernement de Dilma Rousseff - dont faisait partie - parce que l'économie brésilienne est paralysée. Dans la langue guaranie, Mato Grosso signifie forêt épaisse. L'État du Mato Grosso se classe désormais à la première place de la déforestation en Amazonie.
La production bolivienne de soja représente 0,9% de la production mondiale : dans ce contexte, elle est marginale. Cependant, sa culture est très pertinente dans le pays, étant donnée la petite taille de notre économie. Selon ANAPO, le complexe productif du soja génère plus de 1300 millions de dollars d'exportations par an - notamment vers les pays de la CAN - et la chaîne fournit de nombreux éléments nutritifs pour le pays (à partir des grains de soja sont produits des farines, et des huiles qui sont utilisés pour la consommation humaine et pour nourrir les poules et les porcs qui satisfont aisément la demande interne de consommation de ces produits et de cette nourriture). Leur logique est la suivante: maintenant il y a une plus grande disponibilité de viande et lait pour la population parce qu'il ya plus de soja. Cependant, la production de soja en Bolivie est pratiquement stagnante au niveau d'un million d'hectares depuis sept ans, soit à partir de graves conflits régionaux et des débats menant à l'adoption d'une nouvelle Constitution. Depuis, les producteurs réclament une sécurité juridique totale, étendant l'utilisation de semences transgéniques pour d'autres cultures (en plus du soja), la libre exportation, l'amélioration des infrastructures de transport et moins de restrictions de la ABT dans le défrichage pour élargir la frontière agricole. Une partie de la demande a été satisfaite au cours du Sommet agricole d'Avril dernier.
L'Agenda 2025, préparé par le gouvernement, fixe l'objectif ambitieux d'étendre rapidement la surface agricole de la Bolivie - qui est maintenant seulement de trois millions d'hectares - à 10 millions d'hectares d'ici à 2025. À ce Sommet, les producteurs furent bien plus réalistes et plus modestes que le gouvernement. Ils croient que cet objectif ne sera pas atteint et que - si l'État respecte ses promesses –on pourrait doubler la frontière de la culture du soya actuelle pour parvenir à deux millions d'hectares en dix ans.
Il ya environ deux semaines, le Président a informé personnellement qu'il était en train d'envoyer une douzaine de projets de décrets et de lois - pour être négociés avec les entrepreneurs - à fin de cristalliser les accords partiels conclus au Sommet. Pourtant, les textes définitifs de ces normes sont inconnus.
Tout cela est lié à la contre-réforme agraire furtivement lancée il y a six ans. La principale concession à l'agro-industrie faite par le gouvernement du président Evo Morales lors de la négociation de la nouvelle Constitution adoptée au Parlement puis par le référendum de 2009 était la question concernant la taille maximale de la propriété agricole. Le maximum de 5.000 hectares remporta une écrasante majorité. Mais ce qui n'était pas signalé au moment du référendum fut que la loi n'aurait pas d'effet rétroactif et que la nouvelle Constitution garantissait les vastes domaines associatifs en formant des entreprises avec un numéro limité d'associés commanditaires, chacun avec 5.000 hectares. Les paysans et les populations indigènes ne savent pas cela et ils ne sont pas conscients du piège.
Le pacte de production entre l'agro-industrie et le gouvernement construit dans la période récente a un objectif très clair: faire en sorte que, à moyen terme, la Bolivie fasse partie de la grande ligue des producteurs de soja dans le monde, imitant ce qui a été fait au le Paraguay dans la dernière décennie, tout en réduisant les coûts sociaux et environnementaux élevés dans le pays voisin: un million de paysans déplacés et six millions d'hectares de forêts coupées.
Les principaux entrepreneurs mondiaux du soja ont un oeil sur la Bolivie. Ils savent qu'ici il y a de vastes zones de forêt amazonienne qui pourraient devenir des terres engagées dans l'agriculture et l'élevage. Mais ils savent aussi que les investissements étrangers ne jouissent pas de garanties et qu'il est très risqué d'investir dans l'agriculture dans le contexte dans lequel un «processus de changement» est effectuée. Ils savent qu'il ya des mouvements indigènes qui défendront leurs territoires et de leurs modes de vie dans ces forêts.
Est-ce que les applaudissements avec lesquels plus d'un millier de délégués venus du monde entier - à la fin du Sommet social mondial tenu à Santa Cruz, en présence du pape Francisco et de Evo Morales - ont dévoilé leurs conclusions condamnant explicitement l'agro-industrie, la déforestation et l'utilisation des OGM ne deviendront qu'un lointain souvenir? L'Histoire nous dira si les résultats du Sommet de l'agriculture ont ou non suffisamment établi les paramètres pour une expansion accélérée du modèle d'accumulation capitaliste agro-extractive en Bolivie.